Sylvie Godefroid : "La balade des pavés"

Ecoutez Sylvie Godefroid au micro d’Edmond Morrel

"La balade des pavés" de Sylvie Godefraoid (Genèse éditions)

A quoi sert la littérature ? Quelle est l’utilité de se plonger des heures durant dans les fictions imaginées par d’autres ? Quelle étrange hypnose envahit l’écrivain que l’on voit penché sur la "feuille blanche", dans l’angoisse qu’elle inspire autant que dans la fébrilité qu’elle semble susciter lorsque les mots se déversent soudain au fil de la plume ou du pianotement des doigts sur le clavier ?
Sylvie Godefroid nous suggère peut-être une réponse à cette énigme de la littérature. Auteure de deux romans et d’un nombre incalculable de textes poétiques qu’elle dépose quotidiennement sur sa page Facebook, elle semble trouver avec sa "balade des pavés" une voix littéraire où convergent salutairement ses deux sources d’inspiration : la sensibilité extrême aux choses de la vie et la nécessité de partager. En poésie, elle fait ses gammes. Au quotidien de sa poésie elle traduit dans la musique des mots l’émotion du moment, l’avidité d’un bonheur, la gourmandise de vivre, la beauté simple des moments de grâce. Le roman est travail de plus longue haleine. Sylvie Godefroid plonge la plume dans l’encre des épreuves traversées, dans l’encre du coeur battant toujours le rythme de ceux qui vivent pleinement, dans l’encre - lumière qu’est l’humour, la joie, l’enthousiasme jamais démenti. Mais l’écrivain aborde la gravité avec les mots. La gravité est dans ce qu’elle vit, qu’elle choisit de partager avec nous. Il ne s’agit pas ici de ces auto-fictions complaisantes dont d’autres font leur miel amer. Il s’agit avec Sylvie Godefroid d’alchimie : une des fonctions de la littérature ?
Alchimie par laquelle, dans son premier roman, "L’anagramme des sens"(à propos duquel nous l’avions rencontrée) elle nous offre une part de son identité, celle d’une jeune femme qui ne correspond pas aux canons anorexiques des magazines de mode, celle qui a sublimé en l’écrivant, ce "sur-poids" qu’elle assume avec une féminité si bien assurée qu’on ne voit plus qu’elle, cette part féminine charmeuse, souriante, espiègle dont joue notre dame des lettres. Nous écrivions à propos de "L’Anagramme des sens" ce qui aujourd’hui s’éclaire davantage encore dans le deuxième roman : "L’autobiographie revendiquée est une des clés de lecture, mais pas la seule : le style, la construction narrative par fragments (l’anagramme n’est-il pas un jeu de mélange des lettres ?), l’écriture font de ce premier roman un livre où la sincérité semble être l’enjeu majeur de cette quête d’identité à laquelle se confronte le personnage central. Ana, une femme dans la quarantaine, torturée par l’image qu’elle a d’elle-même, décide de se raconter, de s’affirmer, de dire sa féminité, de surmonter le préjugé qu’elle croit inspirer à cause du surpoids (Ana-gramme) : "Je m’appelle Ana et je ne m’aime pas" s’exclame la narratrice au début de son entreprise romanesque. Ouvrez ce livre et entrez dans les méandres des "saisons" d’Ana en cette année 2010 : vous y reconnaîtrez la figure attachante d’une femme, d’un combat, d’une vérité."
Le mot "autobiographie" n’est pas adéquat. Il ne s’agit pas alors, pas plus que dans ce dernier roman, de "se" raconter. Il s’agit de se projeter dans un double, une figure inventée, construite de toutes pièces, mais rendue vivante par la force de l’écriture et par la nécessité d’écrire. Ce premier roman présente des défauts qui auraient pu être si facilement gommés dans un travail éditorial attentif dont visiblement la romancière n’a pas bénéficié.
Qu’importe : pour ce deuxième roman, nous sommes dans un autre cas de figure. L’éditrice Danielle Nees (Genèse Editions) n’est pas femme à négliger le travail du texte.
C’est ainsi que se font les livres avec Danielle Nees : le texte se travaille tant qu’il n’est pas arrivé à la hauteur des exigences de celle qui a longtemps été Directrice Générale chez Flammarion. Sylvie Godefroid nous a dit son bonheur d’avoir ainsi bénéficié d’un vraie édition, dans le sens noble du terme.
Dans "La balade des pavés", la romancière s’incarne dans Lola, son personnage, son double. Une femme qui, à l’annonce d’un cancer du sein, choisit de se battre, de monter sur le ring, ou plutôt de se mettre en scène , comme un acteur sur une scène de théâtre, à l’assaut d’un texte, d’un rôle, auquel donner vie... N’avait-elle pas, Sylvie Godefroid, adapté au théâtre son roman initial, comme si il fallait incarner aussi de cette manière-là, partager la souffrance transcendée d’Ana qui ne s’aime pas ?
Ici aussi, à présent que la rémission s’installe, que la vie reprend le dessus, Lola pourrait se représenter sous les feux de la rampe. Et Sylvie Godefroid, romancière, y incarnerait avec cette force qui l’a portée dans l’écriture de son roman, Lola, son double vainqueur, son double triomphant que l’on a envie de prendre dans ses bras tant elle nous a transmis de vie !

N’est-ce pas là la fonction de la littérature : donner vie ? Aux personnages. A l’imaginaire. Au lecteur. A l’écrivain. Sans doute. Mais en refermant "La balade des pavés", le lecteur se sent moins seul au monde. Il est devenu le complice, l’ami, le frère.

Lisez ce livre. Laissez vous porter par cette écriture cristalline qui scintille au fil des pages. Vous comprendrez alors que l’écrivain penché devant la page blanche menait un combat : celui de devenir écrivain. Elle en est sortie victorieuse, mais surtout heureuse de partager aujourd’hui cette victoire pour qu’elle soit la nôtre...

Edmond Morrel, Bruxelles le 10 janvier 2016

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