Echappe-t-on aux retombées d’une guerre ?

Extraordinairement mûr et lucide pour ses huit ans, Zoran joue au chat et à la souris avec son père. Celui-ci répugne à lui parler de la défenestration de sa femme. Et c’est son fils qui va l’obliger, avec une malice implacable, à nommer suicide cette disparition. Un enfant, sûr de lui, domine un adulte lâche et désemparé. Dans la scène suivante, Zoran se transforme en ogre, comblant son manque d’affection, par une boulimie monstrueuse. Obsédé par sa carrière politique, le père l’abandonne à son triste sort, mais Milena, sa belle-mère, s’attache à celui qui remplacera l’enfant qu’elle ne peut concevoir. Ils tisseront ensemble la trame d’une nouvelle vie possible.

Les 18 tableaux ne s’enchaînent pas suivant une logique linéaire. Ils se font écho, un peu comme dans les "cadavres exquis". En suivant le parcours initiatique de Milena, nous croisons des personnages surréalistes, qui distillent une inquiétante étrangeté. C’est le cas d’une mater dolorosa, qui considère ses quatre chiens baptisés Marc, Luc, Jean et Mathieu comme ses fils ou de ce vagabond qui appelle sa chienne "maman". Inutile de cerner leur psychologie. Ils sont là pour nous aider à passer dans un monde fantastique et cauchemardesque, où un père craint son fils autant que les maisons de retraite, où le ventre des femmes est stérile et où les morts se mêlent aux vivants. Un monde de décombres et de fantômes, miroir du chaos de l’après-Yougoslavie.

"C’est une guerre qui a "déraciné" beaucoup de monde, je me suis sentie perdue dans mon propre pays, dans mon cercle d’amis et jusqu’à l’intérieur de moi-même." Profondément meurtrie, Biljana Srbljanovic se contente de poser des questions. Elle ne dénonce pas de coupables, ne délivre pas de message et se refuse à susciter la compassion. Certaines didascalies, projetées sur écran, pendant la représentation, le confirment. Ainsi on peut lire : "Silence pesant, émouvant, si ce n’était pas moi l’auteur."

On apprécie la mise en scène élégante d’Anne Bisang et la prestation des huit comédiens, dirigés avec précision, mais on a du mal à apprivoiser cette oeuvre complexe. Tenu à distance d’un texte traversé par une poésie onirique, le spectateur, privé d’émotions, s’interroge sur les comportements bizarres de personnages énigmatiques. Il est dommage que l’humour grinçant qui galvanise "Histoires de famille" soit si peu sollicité. Il aurait pu dynamiser une pièce qui ressasse certains thèmes, comme la confusion entre hommes et chiens. Voilà un spectacle ambitieux et soigné qui force le respect, mais qui n’emporte pas vraiment notre adhésion.

Jean Campion



 

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