Un Funambule en pleine forme

Le vendredi, libéré du boulot, Gilbert aime cuisiner. Il ne perd pas son temps à confectionner la bouchée, mais coupe finement ses légumes, mitonne sa viande et se sert un repas complet : soupe au poulet, vol-au- vent et ... reste du poulet. Parfois ses copains le privent de ce plaisir, en l’entraînant au bistrot. Là, "faisant bande à part tout seul", il boit ses verres, en face de Christiane, la serveuse au comptoir. Jusque tard dans la nuit. Et tout à coup, il panique à l’idée qu’on puisse le confondre avec les deux cloches, qui cuvent leur cuite dans le café déserté. C’est aussi la peur du qu’en dira-t-on qui le pousse à garder ses souliers. Ses chaussettes ont des trous. Et s’il les reprise avec un fil d’une autre couleur, on ricanera : il ne peut pas s’en payer de neuves !

Prenant régulièrement à partie le public, Gilbert lui confie ses observations, ses désirs, ses frustrations, ses impatiences, ses peurs, ses rêves, ses cauchemars, en toute innocence. Avec la simplicité d’un vieil enfant, qui ne trouve pas sa place dans le monde des adultes. Comme Brel, il attend "Madeleine", mais ne se sent pas encore prêt à vivre le grand amour. En insufflant énergie et enthousiasme à ce personnage timide, coincé dans sa solitude, à "ce canard sauvage qui s’est perdu", Jérémy Gendrot le rend touchant et drôle. Il faut le voir lutter avec acharnement contre l’odeur d’une crotte de chien, durant le mariage d’une cousine.

Aidé dans sa mise en scène par Anne-Marie Loop, il réussit aussi à nous entraîner souplement dans un univers irréel. A l’instar de Raymond Devos. Yves Hunstad ne joue pas sur les mots, mais nous arrache au quotidien avec la même aisance. On voit le métro se transformer en dancing, on participe au naufrage rocambolesque d’un pédalo et on accueille avec appréhension madame La Mort. Au fil de ses visites, celle-ci devient familière et permet même de lire, dans son grand livre, les noms des futurs élus. Espièglerie qui adopte un ton léger pour amorcer une réflexion sur le sens de l’existence et sur la vanité des rites funéraires.

Pour Yves Hunstad, ce monologue est un hommage au jeu. On s’en rend compte quand le héros sollicite l’éclairagiste ou lorsque, dans un éclat de rire, il renonce à raconter une blague à peine entamée. On le perçoit également dans la distinction entre personnage et auteur-comédien. Celui-ci dédie le spectacle à Elisa, "qui est peut-être dans la salle". Lui parlant au micro, d’une voix chaude, il lui demande de ne pas le confondre avec Gilbert, dont il emprunte la veste trop courte et l’accent bruxellois. Chaque scène sera ponctuée d’une nouvelle intervention au micro, confirmant la mise en abîme. Bien conscients d’assister à une représentation théâtrale, nous sommes pourtant réchauffés par la générosité et le rayonnement de Gilbert.

Jean Campion



 

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