Cruellement drôle et profondément humain

Plongé dans une atmosphère solennelle par la musique de "2001 Odyssée de l’espace", le spectateur ne s’attend pas à voir Jill, une jeune fille, un peu grassouillette, préparer une omelette et lui confier son rêve : devenir chef cuisinier. Il est encore plus surpris par la scène qui suit ce prologue. Mam, la mère de Jill, a ramené, pour la nuit, Stuart, un beau jeune homme rencontré dans un bar. Ils sont bourrés. Pour pimenter la soirée, elle le presse de faire un strip-tease. Et c’est bien sûr quand il est tout nu, que fait irruption Jill, poussant la voiture de son père paraplégique. D’autres situations chaudes confirmeront que l’auteur aime nous faire rire, en piétinant allègrement les convenances. Et l’on ne s’étonne pas d’entendre Jill lancer rageusement à Stuart : "Tu crois venir ici baiser ma mère, me culbuter et branler mon père ?"

Cependant goût de la provocation et humour grinçant se mêlent à la tendresse qu’éprouve Lee Hall pour ses personnages en quête d’amour. La quarantaine aguichante, Mam collectionne les jeunes amants et boit plus qu’elle ne mange, pour oublier ses rides, sa responsabilité dans l’accident de son mari et ses relations tumultueuses avec sa fille. Elle l’aime mais maladroitement. Au lieu de respecter sa passion pour la cuisine, elle lui souhaite de trouver un petit copain "avant d’être trop grosse pour passer la porte d’entrée". Attachée à son père, dont elle espère toujours un signe, Jill s’étourdit dans les tâches ménagères. Elle est jalouse de sa mère et aurait voulu que ce soit elle qui devienne un légume. En débarquant dans cette maison, Stuart croyait vivre une aventure sans lendemain. Mais sur l’insistance de Mam, il s’incruste. Insatisfait de la mère anorexique, ce superviseur de gâteaux offre à sa fille boulimique une "forêt noire", la séduit et subit lâchement la rivalité entre les deux femmes.

Dad, qui imitait Elvis avant son accident, est le seul à échapper à la morosité ambiante. En revivant la gloire du King ! Ses i{{}}nterventions sont désopilantes. Il chante comme son idole, se lance dans des discours grandiloquents et se prend pour Jésus puis pour Shakespeare : "Nous sommes des acteurs sur la scène du monde." Théâtralité de la vie, que l’auteur nous suggère, en annonçant le titre de chaque scène et en concluant sur un happy end ironique. Ces allusions au théâtre suscitent un détachement qui autorise le public à éclater de rire devant ces êtres déchirés.

Dans sa mise en scène, couronnée par un prix, lors de la création en 2006, Georges Lini exploite intelligemment le mariage entre le burlesque d’une comédie déjantée et le réalisme de situations dérangeantes. On savoure l’humour de John Dobrynine qui compose un Elvis suave et délicieusement ringard. Par leur punch, Isabelle Defossé, Catherine Grosjean et Vincent Lécuyer insufflent au spectacle un rythme très soutenu. Les affrontements violents de leurs personnages dévoilent leurs frustrations, leur besoin de communiquer et leur volonté ardente de goûter au bonheur. Sortant de l’adolescence, Jill se dit : "Peut-être que la vie, c’est ces tout petits moments qui nous aident à continuer dans l’obscurité, ces toutes petites choses comme un délicieux dîner ou un petit moment de tendresse, ou un sourire...même pendant une petite seconde."

Jean Campion



 

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