Halte salutaire

" Par un petit matin d’été
Quand le soleil vous chante au coeur
Qu’elle est belle la liberté
La liberté."
C’est en fredonnant "Heureux qui comme Ulysse" de Georges Brassens qu’il rejoint la scène, pour nous présenter Bertrand Russell et endosser le costume de ce mathématicien, philosophe, prix Nobel de littérature (1950). Lunette sur le front et pipe à la main, il déracine quelques idées reçues sur le travail. Contrairement au préjugé moral des classes privilégiées, la réduction d’activité payée ne conduirait pas les plus pauvres au désoeuvrement et à la dépravation. Quatre heures de travail par jour suffiraient à faire vivre toute la population dans un confort satisfaisant, tandis que le reste du temps serait consacré au loisir. Pourquoi imposer le surmenage aux uns et la misère aux autres ?

Refuser d’être l’otage du rendement est le leitmotiv de cette flânerie mise en scène par Véronique Dumont. Ingénieur commercial avant de devenir comédien, Dominique Rongvaux se souvient de désillusions vécues durant ses stages. Peut-on consacrer sa vie à augmenter la production d’une brasserie ou à proposer des solutions écologiques, sournoisement écartées ? Ce témoignage personnel est relayé par la mise en valeur d’un bijou littéraire : "Petit traité de désinvolture". Son auteur, Denis Gozdanovitch, brillant espoir du tennis français, renonça à une carrière professionnelle, pour ne pas devenir "un technicien robotisé de la gagne". Il continua à jouer au tennis, au squash, à la courte paume, pour son plaisir, et publia, à cinquante ans, ces petites chroniques sur la jouissance d’exister. Il s’y intéresse, entre autres, à un zoologiste fasciné par la nonchalance des paresseux, au point de vouloir imiter leur comportement. Dommage que le comédien, pourtant en osmose avec le dilettante, se contente de lire des extraits de cet antidote contre les délires contemporains. On aurait aimé qu’il vive ces textes avec la ferveur qu’il manifeste dans la fable : "Le Savetier et le financier".

Il est normal que l’on prenne son temps pour vanter les charmes de l’oisiveté, mais des pseudo-problèmes d’éclairage et des sorties de scène gratuites freinent parfois l’élan du spectacle. Fallait-il aller chercher, au deuxième étage, un dictionnaire, puis un peu plus tard, trois pommes et un livre ? Cependant ces maladresses ne masquent pas la finesse de l’interprétation. En retraçant avec simplicité et humour les carrières des avocats de l’oisiveté, Dominique Rongvaux évite le piège du didactisme. Et la retenue, avec laquelle il porte la parole de Bertrand Russell, souligne la lucidité de ses constats. Obsédés par les crises financières et la montée du chômage, hantés par la survie de la planète, nous sommes minés par la peur. Ce vagabondage ne prétend pas nous en délivrer, mais il nous incite à réfléchir en humanistes et à reconquérir nos droits.

Jean Campion



 

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