Quand un roman s’éclate en scène

En 1836, dans la foulée du succès de "Mademoiselle de Maupin", on annonçait la publication prochaine du "Capitaine Fracasse". Mais Gautier rechigna pendant un quart de siècle à tenir sa promesse. Et il fallut attendre 1861 pour que paraissent les premiers épisodes de ce feuilleton picaresque. S’inspirant de cette gestation laborieuse, Thierry Debroux met en scène un Théophile Gautier pressé par son éditeur et interpellé par... ses personnages. Il les avait esquissés, puis oubliés dans un château en ruine." Qu’il nous fasse vivre !" Touché par cet appel au secours, qui lui donne un coup de jeune, l’écrivain désabusé relance les aventures du baron de Sigognac. Il invente l’histoire sous nos yeux. Mieux ! Metteur en scène exigeant, il orchestre sa représentation avec une verve et une audace qui suscite la connivence du public.

Si cette pièce s’adresse "à tous les enfants, jeunes et vieux", c’est qu’elle ne sacrifie pas le premier degré. Bien au contraire. Les nombreux duels, réglés avec minutie par Jacques Cappelle, les costumes flamboyants de Thierry Bosquet et le punch des comédiens nous offrent notre part de rêve. Cependant, on peut aussi savourer plusieurs illustrations du théâtre dans le théâtre. Amoureux de la jeune actrice Isabelle, Sigognac rejoint sa troupe de baladins et est amené à remplacer, sous le nom de "Capitaine Fracasse", le comédien qui jouait le rôle de Matamore. Sous le masque de ce soldat hâbleur et poltron, il se montre aussi percutant que ses partenaires. Ce détour du côté de la commedia dell’arte ne manque pas de piquant mais semble longuet. En revanche, bien qu’alternant fréquemment des scènes du "Capitaine Fracasse" et des discussions sur l’élaboration du roman, Thierry Debroux imprime à l’ensemble du spectacle un rythme très soutenu.

Il y parvient surtout grâce à des interprètes pleins de vitalité. Gérald Wauthia se sert de son abattage pour camper un Théophile Gautier explosif et roublard. Il faut le voir céder ironiquement aux plaintes de ses personnages, en transformant le dernier chapitre en une fin rose bonbon, digne de "Joséphine ange gardien". Héros de ce roman initiatique, Sigognac remporte brillamment ses duels, mais apparaît comme un être mélancolique, qui subit la fatalité avec résignation. Aidé par un physique "donquichottesque", Steve Driesen fait bien sentir sa fragilité. Endossant souvent plusieurs rôles, les douze autres acteurs dynamisent le plateau par leur jeu musclé. Presque toutes les inventions scéniques sont malicieuses et efficaces. Même si certains effets comiques provoqués par des déguisements burlesques sont trop insistants, la plupart des gags et des clins d’oeil font mouche et rendent le spectacle jubilatoire. Cette adaptation épanouie de Thierry Debroux le prouve : il est important de poursuivre ses rêves d’enfant.

Jean Campion



 

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