Farce tragique et poésie grotesque

Stella aime Bruno. Bruno aime Stella. Et sans crier gare, la jalousie le gagne.
L’histoire pourrait tenir en une ligne et verser dans le plus plat des vaudevilles si Crommelynck ne poussait pas les sentiments à leur paroxysme et surtout s’il n’y avait pas, en toile de fond, cette quête plus vaste, celle de l’inaccessible savoir.

Dès l’entrée, tout sera question de savoir et de preuve. Le Bouvier déclare son amour à Stella mais pour lui, « il faut le prouver avec des mots ». Bruno, fier de son aimée, vante sa beauté à tout un chacun et, malgré leurs acquiescements, il n’aura de cesse de montrer le corps de sa belle pour appuyer ses propos… Mais quand, en l’espace d’une seconde, le doute s’insinue quant à la fidélité de Stella, la quête de preuves devient longue et ardue.
Sombrant peu à peu – performance maîtrisée d’Itsik Elbaz – Bruno finira par être rongé par ce doute, par « [cet] autre [qui] se dérobe » et n’aura plus qu’une seule envie : « Savoir. Tout est là ». Ne pouvant être certain de la fidélité de Stella, il choisira une autre voie, un peu plus loin dans sa folie…

Ainsi, sous des allures grotesques, Crommelynck touche au sublime… Et Vincent Goethals, joue à merveille des deux tableaux. Entre folklore et poésie, sa mise en scène éclaire les ambivalences de la pièce et utilise judicieusement l’art visuel.
Les lumières de Philippe Catalano plongent le spectateur au cœur tantôt du village pittoresque, tantôt du désir des amants, ou tantôt encore du drame intérieur de Bruno. Quant aux vidéos d’Aliocha Van der Avoort, elles soulignent l’incertitude et l’illusion à travers les images de corps féminins qui se fondent et se reforment. Les costumes de Dominique Louis, entre hier et aujourd’hui, participent également de ce double registre sans oublier l’environnement sonore et musical orchestré par Bernard Valléry, qui à lui seul mérite le déplacement.

Si tous les éléments du spectacle semblent être maîtrisés, un bémol subsiste au niveau de la distribution et des quelques longueurs. Dans son texte, Crommelynck n’aura pas laissé beaucoup d’épaisseur à ses autres personnages, donnant toute la place au tortueux Bruno. Ici, la prestation d’Itsik Elbaz semble par moment porter à elle seule la pièce, même s’il faut mentionner la grande interprétation d’André Baeyens campant un Estrugo, double quasi muet de Bruno et caution de ses doutes ainsi que les quelques tableaux qu’offre la multitude d’acteurs sur scène.

Le Cocu magnifique est un incontournable du théâtre belge et cette mise en scène de Vincent Goethals, outre ses quelques faiblesses, mérite le détour. Une belle manière de commencer la saison théâtrale !

Emmanuelle Lê Thanh



 

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