Insatiable Amélie

Le rideau se lève sur une image révélatrice. A l’ombre d’une troublante photo d’Amélie enfant, une comédienne, micro en main, lit une des premères pages de cette autobiographie. Ce livre ne quittera plus la scène, mais passera le relais à quatre actrices et un acteur, qui dévoileront les nombreuses facettes de l’héroïne et interpréteront les autres personnages de ce voyage initiatique. Au gré des affectations de son père diplomate, Amélie découvre des sociétés violemment contrastées. Arrachée au Japon, son paradis, elle se remémore surtout les humiliations subies à Pékin, considère le départ pour New York comme un merveilleux cadeau d’anniversaire, enfin est saisie d’effroi devant le mouroir géant qu’est devenu le Bangladesh.

Accro au sucre, elle contemple le goût des spéculoos sur son visage, pour "se voir en état de plaisir". Mais son appétit ne se limite pas au corps et aux sens. Elle a besoin d’être regardée par son père et serrée dans leurs bras par sa mère, sa soeur ou sa nounou japonaise. Elle a faim d’oisiveté, de liberté, de pays, de lectures, de mots, d’amour : "L’affamé est quelqu’un qui cherche." Conquérante, elle nous surprend par la lucidité de ses observations. mais cette enfant surdouée a du mal à se construire. A huit ans, elle prend goût à l’alcool et à quinze sombre dans l’anorexie.

Ce récit d’apprentissage, truffé de petits événements, évite tout nombrilisme et tout attendrissement. Amélie Nothomb se montre parfois cruelle avec elle-même et confirme son sens de l’humour : ainsi son père est un martyr alimentaire puisqu’ "on lui imposa l’obsession de bouffer et quand il en fut bien atteint, on le mit au régime jusqu’à la fin de ses jours."

La metteur en scène manifeste le même souci de distanciation, en interrompant parfois l’action par une lecture ou en multipliant les "Amélie". Interprétés par quatre femmes et un homme, les personnages échappent à leur incarnation physique. En s’échangeant les rôles, les comédiens vivent différents chapitres du livre et leur jeu sobre et précis insuffle à la représentation un rythme alerte. L’encadrement technique est solide. La projection d’images des pays traversés et une bande sonore très travaillée intègrent les souvenirs de l’héroïne à la grande histoire. Le recours à des éclairages subtils et à des éléments naturels comme l’eau d’une fontaine ou une fine pluie de sable nous aide à communier avec l’auteur. Christine Delmotte souhaitait transmettre "les émotions énormes qui l’avaient traversée lors de sa lecture." L’objectif est atteint.

Jean Campion



 

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