Rire à gorge serrée

Albert Lambert est un velléitaire. Face à un problème, il se contente de VOULOIR trouver une solution. La bonne intention le rassure et le dispense d’une action efficace. Ainsi devant l’exécrable bulletin scolaire de sa fille, il monte sur ses grands chevaux. Il ne tolérera pas que Jennifer utilise le décès de sa maman comme prétexte pour ne plus travailler. Persuadée que les études ne mènent qu’au chômage, celle-ci ignore ses injonctions et préfère s’amuser avec son chien. Albert tempête, fait miroiter les "métiers d’avenir", abreuvant cette fainéante de tirades ridiculement sentencieuses comme "Tous les obstructeurs de conscience ont tellement fait de leurs pieds et de leur nez que notre beau service militaire a disparu." En vain. Jennifer ne sera ni flic ni casque bleu. A l’âge ingrat, elle fugue, amenant son papa déboussolé à retrouver refuge dans l’alcool. Cette cuite carabinée chez Suzy est la première étape d’une dégringolade inéluctable.

C’est aussi la première séquence de la pièce qui donne des signes d’essoufflement. Coupé par un entracte inutile, le scénario perd de sa cohérence et Albert Lambert "gouroutisé" n’a plus le même rayonnement. Il s’efface derrière la clocharde prise pour une fée, le patron despotique et la psychiatre inquisitrice. Se contentant d’un tour de manège, ces personnages restent des caricatures assez conventionnelles. Le rôle de l’accordéoniste Karine Germaix est inégal. Elle présente l’affaire Lambert comme une complainte, soutient efficacement la goualante de la S.D.F. et suggère avec ironie les ratés d’un disque. Par contre, l’introduction musicale, qui précède le générique, est beaucoup trop longue et crispe le spectateur.

L’atout numéro 1 de cete comédie subversive est incontestablement le délire verbal d’Albert Lambert. Pour rendre son anti-héros cocasse et pathétique, Véronique Stas lui a concocté des tornades pontifiantes, qui volent en éclats de rire. Albert Lambert brandit régulièrement des proverbes qu’il "revisite" comme "Pierre qui roule n’amasse pas moule" et multiplie les jugements péremptoires qui ont la sagesse des "Brèves de comptoir". C’est avec une énergie et une autorité extraordinaires que Philippe Grand’Henry s’est glissé dans la peau de ce personnage envahissant. Arborant une choucroute resplendissante et un décolleté généreux, l’auteure incarne très naturellement la patronne d’un bistrot liégeois. François Bertand endosse avec finesse le rôle de Fricadelle, un chien fraternel à la truffe expressive et au langage policé. Ses remarques malicieuses et pertinentes sont des bouffées d’humanité, dans cet univers délibérément noir.

Jean Campion



 

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