Une Communion douloureuse et salutaire

Pendant que les spectateurs s’installent, les comédiens disposent, à l’avant-scène, une vaisselle abondante. Le repas qui se prépare est le réveillon de la Saint-Sylvestre, qui réunit traditionnellement la tribu. La bonne humeur est de rigueur. On parle des intempéries, de la cuisson des praires, de la qualité du vin, des cancers d’Hiroshima, du pain d’épice de Baudelaire. On se lance des piques, on se moque gentiment des bulles de savon qui passionnent Jonas. Cette ambiance détendue ne masquera pas longtemps les émotions mal maîtrisées. En évoquant le pull, qu’elle avait tricoté pour sa petite-fille Marcia, Yvonne jette un froid. Sa fille Georgia a beau tenter de dissiper le malaise, l’absente sera de plus en plus présente.

Pour les spectateurs qui voient onduler le fantôme de la jeune morte. Et pour les personnages qui sentent qu’un gouffre se creuse inexorablement entre les mots et les pensées. Tournant autour du tabou de la soirée, ils révèlent des personnalités contrastées. Fidèles aux retrouvailles familiales, tante Angèle et son mari voudraient que le dîner n’attise pas les souvenirs, ne pousse pas aux confidences. Scotchée à son fauteuil, la grand-mère s’enferme dans ses jérémiades égoïstes. Elle est "déjà morte" et se montre incapable de s’intéresser à la vie sentimentale de son fils Franck. A quarante ans, celui-ci se libère d’un secret et espère prendre enfin son envol. La mort de Marcia a brisé son frère Jérôme. Inconsolable, il se détache de sa fiancée Juliette et se réfugie dans l’agressivité et le cynisme. Mère triste, qui veut garder la tête droite, Georgia tient à dévoiler le journal intime de sa fille, comme pour exorciser sa disparition. Henri Reverdy (nom symbolique), son compagnon, respire la bonté, mais ne peut s’empêcher d’exploser, tant la tension est grande. Les cousines et amies manquent de netteté. Déboussolées, elles ont l’impression que "la meilleure" est cachée derrière chacun des mots qu’elles échangent. Tous ces personnages sont incarnés avec justesse, par des comédiens qui forment une distribution homogène.

Truffée de répliques drôles, lancées principalement par Franck et sa mère, cette pièce séduit par sa subtilité et son élégante pudeur. Deux bémols cependant : les navires fantômes du journal intime et le monologue final de Marcia ne parviennent pas à nous émouvoir. Par une direction d’acteurs rigoureuse, des éclairages efficaces et une exploitation précise du double plateau, Georges Lini a réussi à distiller
clairement les nombreuses séquences de ce réveillon et à mêler souplement réel et fantastique. L’orage gronde, le vent souffle, les vagues se fracassent contre les rochers et le souvenir de Marcia Hesse grince dans tous les esprits...

Jean Campion



 

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