Push Up : descente aux enfers

Avant toute chose, il faut souligner les performances corporelles réalisées par les comédiens. Prioritaires pour le metteur en scène qui considère le corps comme un véhicule de l’imaginaire et du vécu, elles révèlent les intimités des personnages autant qu’elles trahissent la dynamique schizoïde dans laquelle ils sont enlisés. Dopés par leurs désirs de réussir, de gravir les échelons, d’asseoir leur pouvoir, de plaire pour gagner et de posséder pour jouir, les personnages perdent le contrôle de leurs corps et, comme on peut commettre un lapsus, "s’échappent" par leurs membres dans des mouvements d’automates (les travailleurs formatés qu’ils sont devenus), des reptations animales stylisées (les fauves excités qu’ils s’appliquent à être), des gesticulations hystériques (les work-toxicos qu’ils sont effectivement) ou des mouvements de relâchement abattu (les dépressifs seuls et frustrés qu’ils cachent être).

Le texte est soutenu à merveille par ces comédiens in-corporés (pour reprendre un terme du metteur en scène lui-même). Se déployant en alternance dans des confrontations duelles et des monologues esseulés, il est interprété à la manière d’une partition dont les seules variations de volume et de rythme suffiraient à donner sens à la teneur des échanges et des confessions. Peu importe donc, par exemple, que l’on ne comprenne plus une partie du monologue de Sabine qui est joué en allemand, puisqu’on ne fait qu’en entendre davantage ce qu’elle dit/vit.

Ce qui n’échappe pas non plus, c’est la contamination des rapports professionnels par le sexe. Le sexe comme défouloir rêvé ou réel, le sexe comme objet de pouvoir et de jouissance, le sexe comme éternel terrain de frustrations et de malentendus. Toile de fond aux multiples reflets tissée par Schimmelpfennig, il est omniprésent sur le plateau, transpirant non seulement par la richesse du jeu corporel mais aussi par les tailleurs, les carrés de chair nue, la présence du rameur en bord de scène, les moments dansés et les tonalités tantôt agressives, tantôt soupirantes des répliques.

Finalement, il faut aussi applaudir la beauté des éclairages qui, de la pénombre à la clarté la plus cruelle, donnent autant de voix à l’isolement qu’à la violence dont les personnages sont victimes. Le décor, tremplin en pente prêt à se disloquer à tout moment, est, à cet égard, tout aussi éloquent. On peut regretter cependant son air de "déjà vu" qu’accentue la présence des écrans télé qui y sont encastrés. S’il est vrai que ces derniers donnent ingénieusement vie aux deux rapporteurs de l’action (les gardiens de la multinationale), les images superflues qu’ils diffusent par ailleurs semblent davantage relever d’un effet de mode. A moins que ce ne soit là, à l’image de l’univers représenté, une ultime métaphore de la vacuité profonde sur laquelle il est construit...

Karoline Buchner



 

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