L’homme, ce caméléon...

"Nous allons vous raconter une histoire". Cette affirmation, écrite différemment une trentaine de fois, finit par remplir un carré blanc, projeté sur le mur du fond. La main, qui nous envoie ce message, balisera les neuf tableaux, par des dessins naïfs et des indications sur les lieux. Poussant un rideau rouge sur roulettes autour de la scène, les neuf comédiens confirment que c’est bien à une représentation de cette histoire, que nous allons assister.
On jouera cartes sur table, avec des décors schématiques, des costumes hybrides et des barbes postiches qui ne dupent personne. Pas question d’émouvoir ni d’envoûter le spectateur ! On stimule sa curiosité, en le plongeant dans un domaine familier, mais on le maintient à distance des personnages, pour susciter sa réflexion. Après l’entracte, par le biais d’un "Intermède" (dit par la veuve Begbick), l’auteur insiste sur la nécessité de ce regard critique :

Monsieur Bertolt Brecht espère que vous verrez le sol où vous marchez

Comme sables mouvants, fuir sous vos pieds

Et que vous comprendrez en voyant Galy Gay

Que la vie en ce monde n’est pas sans danger.

Incapable de dire non, le héros de cette parabole se signale d’abord par sa souplesse et sa complaisance. Il comptait ramener un poisson pour le dîner. La veuve Begbick arrive à le persuader de lui acheter plutôt ...un concombre. Lors du pillage d’une pagode, trois soldats ont dû abandonner le quatrième homme de la section. Cette absence risque de révéler leur forfait et menace leur vie. Eh bien ! Le paisible débardeur accepte de se déguiser en militaire et de remplacer, à l’appel, ce Jeraiah Jip, moyennant quelques caisses de bières et de cigares. Il pourrait alors retourner chez lui. S’il reste, c’est parce qu’il flaire la possibilité de gagner de l’argent. Par cupidité, il se lance dans la vente d’un éléphant "à condition que son nom ne soit pas prononcé". Le processus d’aliénation est enclenché et Galy Gay y participe activement. "Un homme, c’est une chose démontable et remontable" (B. Dort, Lecture de Brecht)

Pour raconter cette métamorphose, Brecht nous propose une succession de numéros, truffés de chansons et de commentaires. Par leur mise en scène dynamique et réfléchie, Claudia Gäbler et Herbert Rolland ont orchestré efficacement ce foisonnement. Même si l’une ou l’autre séquence (comme la déification du vrai Jeraiah Jip) paraissent s’étirer, le spectacle est nerveux et tonique. La fougue et l’enthousiasme des comédiens forcent l’adhésion, en particulier dans la chanson du Wagonbar (musique de Claude Semal). Laurence Warin montre l’étendue de son talent. Truculente en veuve Begbick, elle distille avec finesse la chanson de La Vague :

A quoi bon retenir la vague

Qui viendra mourir à tes pieds

Le sable et l’eau savent déjà que

Mille autres viendront s’y briser.

Brecht est aussi un poète !

Jean Campion



 

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