Pour que les préjugés mettent les voiles

D’emblée, nous sommes immergés dans un climat oriental, voluptueux. Soutenues par la musique et les chants d’Hassiba Halabi, les trois comédiennes quittent successivement leur confortable canapé, pour se lancer dans des danses trépidantes, qui respirent la joie de vivre. Après ce prélude, un geste négatif : une jeune femme rejette violemment le voile, dont on la pare rituellement.

Cette volonté de s’affirmer, nous la retrouvons dans chaque monologue, mais sur des tons très différents. C’est avec une connivence malicieuse qu’une lesbienne, "garçon manqué", revendique son homosexualité. La "vierge du centre commercial", qui redoute le regard des hommes, tout en le désirant, exprime péniblement son désarroi. Victime d’un mariage forcé, une femme, meurtrie à jamais, décrit le viol subi à douze ans, avec une sobriété pathétique. En revanche, c’est dans un charabia cocasse qu’une Hollandaise d’origine turque nous raconte son idyle avec un Turc d’Ankara, séduit par son corps, mais surtout par... sa double nationalité, passeport pour son immigration. La démonstration de la préservation ou de la reconstruction de l’hymen, matériel didactique à l’appui, est franchement désopilante. Si certains témoignages comme "Zèbre" ou "Ma Honte" proclament haut et fort le droit au plaisir sexuel et à la liberté de disposer de son corps, d’autres sont plus ambigus. Ainsi le monologue consacré à l’excision surprend. On y sent le tiraillement entre la tradition et la volonté d’émancipation.

Adelheid Roosen tord le cou à bon nombre de clichés et de stéréotypes, en nous entraînant dans un spectacle ardent, remarquablement orchestré. Jamila Drissi, Miriam Youssef et Morgiane El Boubsi se relaient souplement, pour porter la parole de ces témoins aux destins contrastés. En incarnant chaque personnage avec conviction, dans des styles de jeu opposés, elles soulignent la diversité de la femme musulmane. Mais leur complicité, leur gestuelle et les interventions musicales empêchent les monologues de s’éparpiller. Hassila Halabi est un facteur d’unité important. Quand elle chante a capella ou joue du luth, elle diffuse une sérénité impressionnante. Comme un contrepoint aux récits douloureux ou aux coups de gueule libérateurs.

Cette pièce n’est pas un manifeste féministe ou politique. Sans tabou ni vulgarité, Adelheid Roosen nous invite à partager l’intimité de douze femmes. Elles veulent danser, mordre dans la vie, jouir de leur corps. Mais écartelées entre deux civilisations, prisonnières, respectueuses ou totalement libérées des traditions familiales, elles ont suivi des parcours variés. Diversité qui devrait nous interdire de les enfermer dans une perception unique, dangereusement simpliste.

Jean Campion



 

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