Il suffit d’aimer la vie

Il faut cependant du temps pour que le spectacle devienne attachant, car il avance en crabe. Nous passons, en effet, constamment du monde étouffant régenté par madame Chasen, la mère d’Harold, à l’univers poétique dégagé par Maude. Et cette alternance est frustrante.

Les blagues morbides d’Harold ne choquent plus que les non-initiés. Comme madame Chasen, nous sommes vite vaccinés et nous observons ces suicides bidon comme des vidéo-gags. C’est avec le même détachement que nous assistons à la liquidation des fiancées, choisies par l’ordinateur. Elles ont beau être très différentes, bien typées par leurs interprètes, on attend le coup de grâce d’Harold. En revanche, dès sa première apparition, Maude excite notre curiosité par son anticonformisme et nous ne demandons qu’à la suivre dans ses excentricités. Comme sa présence grandissante satisfait de plus en plus ce désir, la deuxième partie est nettement plus passionnante que la première.

Considérant la pièce comme un conte, le metteur en scène Claude Enuset nous détache d’une réalité trop palpable ( décors épurés par ici, bric-à-brac surréaliste par là) et fait émerger le charme exercé par Maude. Cette octogénaire amorale, qui ignore les règlements, le qu’en dira-t-on et le droit de propriété est avant tout une fée. Rencontrant un fils de famille riche, déboussolé, elle lui fait découvrir les trésors de sa caverne magique, comme le diffuseur d’odeurs, lui apprend à chanter, à danser, à adorer Chopin et les mouettes, à grimper aux arbres, bref à aimer la vie. Plus proche de Denise Grey que de Madeleine Renaud, Françoise Oriane pourrait s’exalter davantage dans cette éducation. Par contre, elle insuffle à son personnage beaucoup de vitalité et suggère avec pudeur les souffrances de cette femme, qui trouve la vie merveilleuse, même s’il faut l’arrêter à temps. Toussaint Colombani distille avec justesse les étapes de la mutation d’Harold. Vivant en somnambule chez sa mère, il est intrigué par cette collectionneuse d’enterrements, se dégèle progressivement à son contact, devient son disciple, son protecteur et en tombe amoureux...La fée lui a donné des ailes et cette transmission est remarquablement mise en valeur par l’image finale.

Les autres personnages balisent la fusion du couple et l’initiation d’Harold. Le docteur Mathews représente l’impuissance du psy et le révérend Finnegan celle de l’ecclésisatique. Le méchant flic rêve de prendre sa revanche sur cette délinquante qui le nargue. Il aboie comme un molosse, quand il vient saisir ses biens, mais le désintéressement de Maude le transforme en poulet repentant. Quant à madame Chasen, elle est tellement conventionnelle, égocentrique et abusive qu’on ne peut compatir à son désarroi. Pour se lâcher et laisser percer un soupçon d’humanité, elle devra rencontrer Maude...la fée !

Jean Campion



 

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