Une lucidité désarmante

La pièce de la canadienne Marie-Christine Lê-Huu est, en effet, une histoire d’amour déchirant mais aussi une remise en question du comportement des grands par une fillette de sept ans. D’entrée de jeu, elle revendique sa responsabilité dans la mort de ses parents et sans jamais plaider sa cause, éclaire le chemin qui les conduit vers cette fin tragique.

Véra voudrait renouer des liens avec ses parents, mais le fossé qui la sépare de sa mère, est infranchissable. Mé n’a jamais digéré que sa fille, promise à un beau mariage, se soit laissé séduire par Zak. Ce joulik (= gitan ou voyou) quasi analphabète, qui lui impose une vie sans confort ni avenir. Enfermée dans ses certitudes, les conventions de sa bonne éducation et la sécurité offerte par sa religion, elle est incapable d’aimer sa fille telle qu’elle est. Pé, son mari, voudrait rendre l’ambiance familiale plus sereine, mais c’est un homme fragilisé, muselé par une épouse tyrannique, incapable d’exprimer l’amour qu’il éprouve pour Véra et sa petite-fille. Face à ce couple claudiquant, desséché, l’amour brûlant qui unit Véra à Zak. Celui-ci l’a sauvée de la déchéance, il l’aime (Sa fille le sait bien !), mais tel un loup, il part régulièrement sur les routes, abandonnant femme et enfant. Véra lui reproche son égoïsme, se fait réconforter par Guillaume mais ne revit que soudée à cet homme.

Ange gardien de sa mère, confiante en "son" Zak, la petite fille démystifie le jeu des adultes et n’hésite pas à agir pour faire triompher son désir d’amour absolu. Nous acceptons facilement sa maturité surprenante et sa lucidité implacable, parce que l’auteur lui a concocté une langue hybride, voisine de celle prêtée par Howard Buten au héros de "Quand j’avais cinq ans, je m’ai tué". En malmenant la structure de certaines phrases, en inventant des formules naïves mais lumineuses,

M.-C. Lê-Huu rend le texte de son héroïne émouvant, savoureux et poétique. Sophie Linsmaux l’a parfaitement apprivoisé et mène le jeu avec une candeur et une sobriété impressionnantes. Ni mièvrerie ni mélo, mais une sensibilité à fleur de peau qui la rend très attachante. Dirigés avec rigueur, les autres comédiens révèlent avec finesse les blocages et les fêlures de leur personnage. Un bémol pourtant : la pâleur du rôle de Guillaume, condamné à jouer les utilités.

Si l’on excepte l’apparition un peu balbutiante des "vieux", la représentation se déroule sur un rythme alerte. D’autant plus soutenu que le décor ingénieux nous permet de voyager souplement dans le temps et l’espace. Une fois encore, on sort du Zut revigorés par la vitalité d’un théâtre, où "rien ne sera sage ni convenu".

Jean Campion



 

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