Ca vous gratouille ou ça vous chatouille ?

La plus belle idée du metteur en scène n’aura-t-elle pas été, en effet, d’intégrer à la prestation du comédien des musiciens jouant en live des créations dirigées pour l’occasion par Olivier Thomas ? Sons instrumentaux et vocaux à la fois sophistiqués et flous, souvent étranges, parfois inquiétants, comme « sortis de nulle part », s’échappent des coulisses et, se permettant quelques incursions très esthétiques sur la scène, s’imposent rapidement comme un véritable compagnon de jeu, partenaire qui soutient, qui sollicite, qui interagit.

"Le Gris", en sa qualité de monologue, n’est donc pas vraiment un seul en scène. Cela n’empêche pourtant pas Angelo Bison de tenir la barre. Son savoir-faire en la matière est manifeste. Dans un décor minimaliste (deux panneaux blancs auxquels les lumières donnent vie et un fauteuil club en cuir élimé), il nous livre avec une évidente économie de moyens les mésaventures aussi cocasses qu’existentielles d’un quinquagénaire qui s’est retiré en province pour profiter d’une solitude à laquelle un rat, qu’il essaie en vain d’éliminer, l’empêche pourtant d’accéder. Ainsi s’esquissent sous nos yeux des scènes burlesques de guet-apens et autres courses-poursuites plus vraies que nature, aussi visuelles que si elles défilaient sur un écran ou une planche de bande dessinée. Mais peut-être l’interprétation du comédien demeure-t-elle un peu trop bonhomme car, de pièges manqués en pièges manqués, c’est dans une folie réelle que le traqueur obsédé se retrouve lui-même piégé : ne finit-il pas par avouer que sa maison ressemble à un "asile abandonné"... ?

De fait, le rat n’est pas ici un simple rongeur parasite. Il est "Le Gris", la face cachée de l’homme, sa part vulgaire et médiocre, sa nébuleuse, sa névrose lancinante, son reflet en eaux troubles, sa conscience, une de ces choses ou toutes à la fois. Il est ce qui ronge et grignote la chair de l’âme, ce qui fait parler l’homme de sa femme, de sa maîtresse, de son fils, de son patron, de son voisin et de sa femme de ménage alors qu’il voudrait parler de lui – ou se taire... La métaphore est le centre névralgique du texte et elle est limpide. On peut regretter que la fin du spectacle, tant par le texte que par l’image (une vidéo au contenu impressionnant mais combien redondant) semble tout entière dévouée à sa traduction. Que reste-t-il dès lors de notre propre "Gris" de spectateur ?

Karoline Buchner



 

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