Aux cinémas Vendôme (Bruxelles), Plaza (Mons) et "Grignoux" (Liège)
Le choix de la violence dans l’engagement politique est au cœur des « Survivants », le dernier film de Luc Jabon qui sort dans (quelques, hélas trop peu de) salles en Belgique, à Bruxelles, Mons et liège.
Albert Camus n’a cessé d’interroger le dilemme entre la quête légitime de la justice et les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. Camus était déchiré entre l’impossibilité d’admettre la misère humaine et l’incapacité de justifier la violence pour la combattre. Les grandes idéologies utopistes du XiXème et du XXème siècle comme le communisme et le socialisme s’y sont fracassées sur tous les continents. Jabon appartient à la génération d’après Hiroshima, de la Guerre froide, de l’antagonisme latent entre un idéalisme irréalisable et le cynisme du réel.
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C’est de cela qu’il est question dans le très émouvant film de Jabon. Mais Jabon n’est pas un philosophe, il est un raconteur d’histoires. Il ouvre le cœur pour y insinuer les personnages qu’il fait se croiser entre générations aussi bien qu’entre catégories sociales. Le personnage central, Nicolas Roulet auquel Fabrizio Rongione donne l’intensité des grandes figures tragiques de Dostoïevski, a été incarcéré suite à un attentat qui a provoqué la mort d’un policier. Il n’y aurait pas dû avoir de ronde à cette heure-là à laquelle avait été programmé l’attentat. Nicolas Roulet avait 19 ans. Il a été arrêté et ne sort de prison que 15 ans après , pour bonne conduite.
Physiquement il semble intact. Moralement, c’est un homme rongé par le remords, hanté par le pardon qui tente de se réinsérer dans une société dont les antagonismes n’ont pas évolué. Il se retrouve ainsi confronté à la violence, sociale et économique, qui a succédé à la violence idéologique, celle qui crée des squats, qui jette sur les bancs des SDF. Il n’obtiendra pas la pardon. Il n’obtiendra pas la rédemption à laquelle l’amour de Nadia aurait pu le mener. Comme Sisyphe, Roulet semble condamné à replonger dans la spirale d’un destin dont il n’est plus maître. L’a-t-il jamais été ?
« Les Survivants » appartient à la grande filmographie, celle qui nous donne à ressentir, à partager la tragique complexité du destin des êtres qu’elle nous raconte. On pense bien sûr à Ken Loach, aux Dardenne, à John Cassavetes mais aussi aux grands documentaires de Frederic Wiseman.
Les personnages sont tellement « justes » qu’ils en deviendront des archétypes comme les grandes figures des romans russes et américains. Nicolas Roulet devient l’archétype d’un destin fracassé comme Raskolnikov, Nadia une métaphore de l’inaccessible étoile que chanterait Brel, le groupe de jeunes squatteurs révolutionnaires un chœur du théâtre antique, ce duo de clochards, la parabole terrible et angoissante de l’abandon absolu de deux êtres, qui n’ont même plus le secours de ce qui jusque là les reliait à l’humanité : la capacité de solidarité.
Nous l’avons dit d’emblée, ce film ne sort que dans quelques salles, à des horaires qui risquent de décourager le public. Or la distribution d’un film, son destin public, se décide en fonction du nombre d’entrées au cours de la première semaine.
Le chrono est lancé : ne manquez pas ce film.
Il est aujourd’hui d’une éternelle actualité.
Edmond Morrel
(Demain sur www.espace-livres.be nous rencontrerons Luc Jabon qui évoquera, à n’en pas douter, d’autres pistes de lectures de ce grand film qu’il nous donne et qui nous élève.)