Pleurant d’un oeil, riant de l’autre

Condamné pour un petit larcin, commis à quinze ans et... treize mois, Glapieu a décidé de devenir honnête : "Je viens planter dans le sol parisien l’oignon de la vertu, mais laissez-lui le temps de pousser, que diable !" Malheureusement, la société, méfiante et rancunière, n’offre pas de deuxième chance. Pourchassé par la police, le "bandit" se réfugie sous les toits. Au-dessus de l’appartement miteux, où grelottent Cyprienne, sa mère Etiennette que l’on croit veuve et son grand-père le major Gédouard. Sous un pseudonyme, celui-ci donnait des leçons de musique. Gravement malade, il ne peut plus nourrir les siens. Au nom de son patron, le baron de Puencarral, Rousseline, un homme d’affaires véreux, orchestre le ballet des huissiers. Spéculant sur la détresse des deux femmes, il leur propose machiavéliquement de renoncer à la saisie des meubles, si Etiennette lui accorde la main de sa fille.

Nous baignons en plein mélo. Les coups de théâtre et les rencontres providentielles se multiplient, garantissant les happy ends. Une fille-mère retrouve dignité, amour et fortune. Un père coupable embrasse sa fille inconnue. Un amoureux malchanceux tombe dans les bras de sa bien-aimée. Et un brigand au grand coeur démasque une ignoble crapule. Dirigés rigoureusement par Daniel Scahaise, les comédiens assument à fond ces rôles stéréotypés. En évitant la caricature. Dans la peau du manipulateur sournois, Jaoued Deggouj brille par sa lucidité et son cynisme. Le baron de Puencarral est un banquier obsédé par l’injustice. Bernard Marbaix l’incarne avec beaucoup de classe.

Glapieu ne se contente pas d’intervenir comme un ange bienfaiteur. Il observe et commente l’action. Ses remarques souvent grinçantes prennent le public à témoin et le tiennent à distance du mélodrame. Situation idéale pour savourer les envolées libertaires de ce malfrat, qui a la générosité de Jean Valjean et la gouaille de Gavroche. Porte-parole de Hugo, il fustige cette société " qui s’est donné la peine de faire de toi un voleur et n’entend pas en avoir le démenti " et, sans illusion, affirme que " la vérité finit toujours par être inconnue." Jean-Henri Compère joue cet anarchiste, qui rend la justice, avec jubilation. Son audace, son autorité, sa joie de vivre rayonnent et suscitent la complicité du spectateur. Des exploitations astucieuses empêchent les nombreux monologues, qui émaillent la pièce, de freiner l’action. Par contre, les scènes de carnaval et de beuverie la font piétiner. Entre les actes, des musiciens des rues viennent chanter la misère. Dommage que les paroles (poèmes de Victor Hugo) soient parfois couvertes par la trompette.

Comme "Les Misérables", publié quatre ans plus tôt, "Mille francs de récompense" s’attaque à la mécanique sociale, qui pousse les puissants à broyer les humbles. Mais dans ce mélodrame éclaté, Victor Hugo s’amuse. Caché derrière un héros insaisissable, narquois et sensible, il nous propose une utopie réjouissante. Cette drôlerie favorise le rapprochement entre le capitalisme impitoyable de la Restauration et les crises financières, dans lesquelles s’embourbe notre société. Quand on entend le baron de Puencarral s’interroger sur le sens de l’accumulation de richesses, ne souhaite-t-on pas que des milliardaires contemporains partagent sa perplexité ?

Jean Campion



 

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