"On a vu souvent rejaillir le feu..."

Des sièges déglingués, des rondins constellés de moules... Dans ce lieu déserté par la mer, débarque une femme élégante, qui semble sortir d’un combat. Son premier geste : marquer son territoire. Furieux, un homme débraillé proteste contre cette annexion puis se calme, constatant que son kit de survie est identique au sien. Lors du séisme, Bril a été largué par ses compatriotes de LA-BAS et ronge son frein ICI. Dans ce camp de réacclimatation, où vient d’échouer Mimi, une rescapée du Centre. Ils ont tout perdu et subissent ensemble un conditionnement, censé leur apprendre la "paix nationale".

Avec l’arrogance des vainqueurs, Bril se moque de l’imprévoyance des gens d’ICI. Incorrigibles cigales ! Ces sarcasmes la blessent, mais Mimi ne contre-attaque pas. Passionnée de décoration, elle évoque avec nostalgie sa jolie fermette et exploite "L’’Art de plier les serviettes de table". Un ouvrage essentiel qui exalte la culture de la convivialité. Cependant cette petite bourgeoise, apparemment futile, est capable de rébellion. Lorsqu’elle est obligée de trier une montagne de choux de Bruxelles, pour gagner sa pitance, elle refuse. Si elle finit par collaborer, c’est à cause du chantage de Bril. Celui-ci a besoin de manger, pour garder la force de s’évader. Abandonné dans ce no man’s land, il déprime : on lui a arraché sa langue.

Pour cet homme pragmatique, les mots rassurent par leur exactitude et leur capacité à créer une réalité. C’est pourquoi il a demandé au centre d’accueil un Petit Larousse. Et il jubile, quand Mimi lit les définitions de "trier, ici, là-bas, renoncer." Insensiblement, une certaine complicité se tisse entre ces naufragés, que le désoeuvrement révèle à eux-mêmes. L’irruption d’un troisième personnage confirme que Bril se laisse tirailler par des sentiments contradictoires, alors que Mimi n’hésite pas à prendre ses responsabilités, sans état d’âme.

La mise en route de l’intrigue, pimentée par plusieurs trouvailles, accroche le spectateur. Dommage qu’ensuite la comédie surréaliste accuse parfois des baisses de rythme et que certains gags, comme le quiproquo de la langue arrachée, soient laborieux. Delphine Coërs, la scénographe, a eu raison de privilégier la relation entre ces personnages à la dérive. Comédienne énergique, Geneviève Damas dévoile progressivement la vraie nature d’une femme positive et déterminée. Bril, incarné avec beaucoup de justesse par Alexandre Von Sivers est un rustre jaloux, méfiant, revanchard, poltron. C’est aussi un homme, qui ne supporte pas d’être déraciné. Très attachée à la Belgique, l’auteur se sert de sa fantaisie, pour nous sensibiliser à une situation dramatique. Elle nous invite à reconnaître nos différences, à dépasser nos préjugés, sans proposer de solution miracle. Les Belges trouveront-ils leur chemin de... Damas ?

Jean Campion



 

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