Duel ou duo d’amour ?

Hypocondriaque, Lomov a besoin d’une vie ordonnée, bien réglée. Aussi, à 35 ans, renonçant à attendre le grand amour et, malgré sa timidité, il se décide à demander la main de sa fille Natalia, à Tchouboukov, son voisin. Bénédiction du père ! Cette union était son rêve le plus cher et il est persuadé qu’"elle l’aime déjà à la folie". Très aimablement, celle-ci l’invite à justifier son élégance. Pour rendre sa demande plus solennelle, Lomov évoque les relations de leurs familles, la proximité de leurs terres et... s’y embourbe, en prétendant que le pré aux Vaches lui appartient. Il a toujours été la propriété des Tchouboukov, s’indigne Natalia. Cette dispute mesquine, absurde, violente en annonce bien d’autres. Sombres nuages sur un mariage sans amour.

Les héros de "L’Ours" ont plus de chance. Veuve inconsolable, Eléna Podova vit recluse entre ses quatre murs. Smirnov, un propriétaire foncier force sa retraite, pour lui réclamer deux traites de 1200 roubles, que lui devait son mari. Comme tous ses débiteurs lui font faux bond, Smirnov s’incruste. Pas question de partir sans son argent ! Le ton monte. Les adversaires se crispent, prêts à se battre en duel. Cependant "plaisanterie" oblige : le coup de foudre déjouera les coups de feu.

Les protagonistes des deux pièces nous amusent par leur entêtement. Aveuglés par un orgueil stupide, Natalia et Lomov veulent avoir raison à tout prix et s’invectivent dans des affrontements grotesques. Eléna Podova s’est enfermée dans son deuil. Son mari la trompait. Et pourtant, elle s’est lancé le défi de lui rester fidèle... à titre posthume. La fréquentation assidue des femmes a transformé Smirnov en un misogyne agressif. Ces deux blessés de l’amour luttent désespérément contre leur attirance réciproque. Comme le souligne la préparation cocasse du duel.

A travers ces farces, Tchékhov dénonce déjà les vies ternes, étriquées, qui réduisent les rêves comme des peaux de chagrin. Cette fuite de la médiocrité, le metteur en scène Sébastian Badarau l’illustre par un voyage en train, qui encadre les deux pièces. On entend déjà l’appel de Moscou, qui fera frémir "Les Trois soeurs". Malheureusement ce prologue original, suivi d’une capture loufoque, retarde exagérément le démarrage d’"Une demande en mariage". Entrée en matière laborieuse : le personnage de Lomov reste flou trop longtemps. Mais tiraillé entre ses maux imaginaires et son amour-propre, il se déchaîne avec exubérance. Dans la peau de l’Ours, Sebastian Badarau montre habilement comment ce goujat tonitruant se dégonfle devant une femme de caractère. Dommage que son accent écorne certains mots. Marie-Gaëlle Janssens Casteels incarne la pugnace Natalia et l’énergique Eléna, avec un aplomb qui fait merveille. Malgré certaines faiblesses, voilà un spectacle qui nous réjouit par sa vitalité.

Jean Campion



 

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