In memoriam : à la libre pensée

Au sol, dix-huit musiciens, maniant de fragiles instruments à cordes. Loin au-dessus d’eux, pendus, suspendus, nimbés d’une lumière presque sacrée, cinq personnages : deux comédiens (Han Kerckhoffs et Hilde van Mieghem), protagonistes principaux, les pendus de notre histoire, et trois chanteurs lyriques (Janneke Daalderop, Ekaterina Levental et Steven van Gils), le chœur de cette « tragédie sans script ». Voilant le tout, un écran de toile au premier plan, comme une barrière, comme pour rappeler au public qu’il ne peut plus rien pour ces pendus. Sur l’écran s’affiche le texte, en latin, français et néerlandais, dans une continuité chaotique et lumineuse (et un peu fatigante). Num verberanda sum quod cogito, « Serai-je battu si je pense ? ». Voilà l’idée noyau autour de laquelle tout le spectacle se développe.

Les pendus sont, ou étaient, des scientifiques, des savants, des sorciers, des guérisseurs peut-être. Ils appartenaient en tout cas à la caste de ceux qui, avant tout le monde, doutent et questionnent, veulent savoir et non plus croire sans voir. Ils se sont aimés, aussi. Ils ont été punis, et ne savent plus trop pourquoi. Aux litanies tantôt douces et plaintives, tantôt fortes et amères, chantées en latin, langue du savoir et de la foi, succèdent les échanges savoureux entre les amants morts, résignés mais toujours clairvoyants. Au bout de près de deux heures de tension flottante, de sac et de ressac entre le chant, la musique et la parole, et après un discours final efficace que l’on ne dévoilera pas, les pendus sont autorisés à descendre, remettent leurs chaussures, et passent leur chemin.

La pièce se veut un hommage à ces figures d’avant-garde qu’on a fait taire par la mort, car leur discours ou leurs actes étaient gênants pour « les autres », qu’il s’agisse de leurs contemporains, de l’Église ou du pouvoir en place. Au sortir de la salle, les avis semblent pourtant se rejoindre : « Les pendus » fait l’effet d’un grand tableau, très beau mais très froid, heureusement réchauffé par les notes d’ironie de quelques dialogues, animé ça et là par le relief percutant d’une réflexion pertinente sur le désir de savoir, la peur qu’il suscite et le non-sens de la vie.
Malgré une esthétique admirable et un message profond, le spectacle touche la raison plus que le cœur du spectateur, qui ressort de cette longue contemplation assagi, mais pas bouleversé.

Cindya Izzarelli




 

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