Parsifal déchristianisé, féminisé : Renaissance ?

Metteur en scène de théâtre, réputé radical, Roméo Castellucci a assumé des mises en scènes dépouillées, fortes, agressives. Entre autres, des versions inattendues de Shakespeare (Hamlet, Julius Caesar), Dante (Le Paradis, l’Enfer, Le Purgatoire) ou encore Céline (Voyage au bout de la nuit) : autant de coups de poing par rapport à la tradition. Le texte, remanié, malaxé, parfois détruit, est creusé dans ses profondeurs pour livrer des images fortes puisées dans un univers subconscient, cruel et splendide.

S’attaquant pour la première fois à un opéra, pas le moindre, « Parsifal » l’ultime œuvre de Wagner, Castellucci pratique de même sur le fond idéologique, chrétien, païen, voire bouddhique du texte wagnérien. Il le renie. Seul problème, qui pourra heurter certains habitués d’une version classique de Wagner : les textes des chants wagnériens restent bien présents et sont, surtout au 3e acte, en forte discordance avec ce qu’on voit sur scène. Si au théâtre, on peut agir « d’après » Shakespeare ou « d’après » Dante et glisser un message contemporain, les textes de Wagner ont la vie dure.

Ni Graal, ni Christ, mais si près de Nietzsche et du serpent de la connaissance

Et pourtant on finit par adhérer à cette version iconoclaste de Parsifal parce qu’à partir d’un postulat dérangeant (le « fatras mythologique » wagnérien est sans intérêt), il propose une logique qui tient le plus souvent la route. Il commence par projeter durant l’ouverture, sur le rideau de scène, le visage de Nietzche, qui a renié son amitié pour Wagner à cause du « virage chrétien » de Parsifal, qui revient sur l’acquis iconoclaste du Crépuscule des Dieux et du Ring en général. Nietzche : un excellent mentor pour justifier la « déchristianisation » de l’ensemble.

Et, toujours en ouverture, c’est le serpent de la connaissance qui surgit, près de l’oreille de Nietzsche, et plus tard le chien de l’instinct ou la beauté et l’amour de la femme qui font progresser Parsifal. Kundry n’est plus une sorcière aux mains de Klingsor mais l’initiatrice sublimée, à la fois mère et amante. Quant au thème du Graal, sensé contenir le sang du Christ, il est interprété comme une recherche du sens de la vie autour d’un objet, le Graal, vide de sens, au départ. L’important c’est que chacun lui donne un sens, pas le contenu christique préétabli. Parsifal, perdu, en quête d’identité, c’est donc « l’Homme » et c’est une femme, Kundry qui le mènera à la découverte de sa sexualité et de son identité.

Un Graal féminisé

Le sang, autre thème central polémique, n’est pour Castellucci ni le sang du Christ, ni celui qui fonde la race aryenne supérieure, comme les dérives nazies de l’œuvre l’ont suggéré. C’est le sang de la femme, mère et génitrice et Amfortas blessé subit des souffrances de femme. Voilà une féminisation de l’ensemble qui trouve son apogée dans l’acte 2 où dans le palais du magicien, Klingsor, le long baiser de Kundry à Parsifal lui révèle son « lien » à la femme, à la nature, à lui-même, dans un rituel chorégraphié, dans des teintes sadomasochistes.

La scénographie guide la démonstration

Au premier acte, les protagonistes sont des guerriers en tenue de camouflage « para », presque invisibles, prisonniers de la nature, une forêt hyperréaliste qui cache opportunément le fameux Graal, l’épée et la croix. Personnellement j’ai eu de la peine à entrer dans cette forêt hyperréaliste mais ai adhéré à la scénographie du 2è acte, le cube blanc du Palais de Klingsor, traversé de blanches féminités et du 3è, qui voit les héros du Graal prisonniers de la Ville tentaculaire, qui submerge les héros devenus des fétus au milieu d’une masse de plus de 300 figurants.

Maestro Haenchen : orchestre sublimé, interprètes transcendants

Quant à la musique de Wagner, l’exceptionnel chef allemand Helmut Haenchen communique à l’orchestre et aux chœurs une énergie sans pathos, des rythmes lents ou rapides qui ne noient à aucun moment des chanteurs d’une qualité exceptionnelle. Inoubliable de tenue vocale et scénique la Kundry de la Suédoise Anna Larson, tout comme le Parsifal du jeune ténor américain Andrew Richards, enfant perdu à la voix d’or. Noble assurance de Jan Hendrik Rotering en Gurnemanz, humour ravageur et timbre éclatant de Tomas Tomason en Klingsor dédoublé et-clin d’œil- déguisé en chef d’orchestre,alors que Thomas Johannes Meyer défend avec délicatesse le martyr d’Amfortas.

Un tout grand Parsifal, qui peut heurter les puristes mais doit être vu par les fous de Wagner et les curieux de versions iconoclastes.

Christian Jade

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