Big Brother : le pouvoir pour le pouvoir

Virée de son entreprise, une jeune femme voit de singulières ressemblances entre son licenciement brutal et le processus qui anéantit les héros de " 1984 ". Elle entame la narration du roman, avec l’aide de comédiens, qui se partagent différents rôles. Petit fonctionnaire au ministère de la Vérité, Winston Smith est chargé de truquer les archives, pour permettre au Parti d’imposer SA vérité : Big Brother a toujours raison. Ce travail de falsification l’écœure, mais constamment surveillé, il masque sa révolte. Cependant, il parvient à écrire son journal intime, pour laisser une trace du véritable passé et s’interroger sur le sens de cette dictature.

Comme " Toute jouissance privée est une façon d’échapper à l’emprise du pouvoir", il est interdit de prendre du plaisir dans une relation sexuelle. C’est pourquoi Winston et Julia font l’amour clandestinement, dans une mansarde, en sachant qu’ils devront payer leur crime. On bombarde la population de slogans comme : "La liberté, c’est l’esclavage." ou "2 + 2 = 5" et on forge une nouvelle langue, au vocabulaire de plus en plus réduit. Ce "novlangue" rendra impossible la formulation de pensées subversives. Les liens familiaux sont également dénaturés, puisqu’on encourage les enfants à dénoncer leurs parents, au moindre signe suspect.

Le spectacle bénéficie d’une scénographie et d’un encadrement technique totalement efficaces. Les lumières crues, le mobilier glacial et les sons agressifs reflètent l’oppression. Diffusant la propagande du Parti, les télécrans sont aussi des mouchards omniprésents qui sécrètent l’angoisse. Dans la cantine aseptisée flotte un parfum de délation. Dirigés avec précision, les comédiens soulignent , par leur jeu énergique, l’horreur d’un régime totalitaire. Particulièrement impressionnants, quand ils passent de l’hystérie collective (les "deux minutes de haine" contre le traître Goldstein) à l’incantation apaisante dédiée à Big Brother.

Le roman visionnaire d’Orwell est intemporel et son adaptation à la scène aurait pu se passer du parallèle entre le drame vécu par une victime de la mondialisation actuelle et l’écrasement de Winston Smith. Celui-ci incarne l’homme qui a tenté de se révolter contre le Pouvoir et qui finit par s’y soumettre. En lui infligeant d’insupportables tortures, O’ Brien précise les intentions du Parti : "Nous ne détruisons pas l’hérétique, parce qu’il nous résiste. Nous captons son âme. Avant de le tuer, nous en faisons un des nôtres. " Des actes et des paroles qui blessent notre humanité et nous exhortent à la résistance, partout où pointe la menace de Big Brother.

Jean Campion



 

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